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Aires d’accueil et sédentarisation


Texte paru dans Médiapart

http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/250815/aires-d-accueil-et-sedentarisation


Lise Foisneau, doctorante en anthropologie à l’Université d’Aix-Marseille, Cécilia Demestre, habitante des aires d’accueil depuis 26 ans et Valentin Merlin, étudiant en sociologie et titulaire d'un livret de circulation considèrent que « l’actuel débat autour de la suppression du livret de circulation pour les gens du voyage et de l’obligation faite aux communes de plus de 5 000 habitants d’aménager une aire d’accueil cache la disparition programmée d’une culture et d’un mode de vie. »

Que cache l’actuel débat autour de la suppression du livret de circulation pour les gens du voyage et de l’obligation faite aux communes de plus de 5 000 habitants d’aménager une aire d’accueil ? La disparition programmée d’une culture et d’un mode de vie.


Qu’est-ce qu’une aire d’accueil ?


Prenons l’exemple de la seule aire d’accueil de Marseille. Située dans la zone industrielle de Saint-Menet, entre l’autoroute, la voie ferrée et une centrale électrique, cette aire se trouve à 400 mètres de l’usine chimique nauséabonde Arkéma, site classé SEVESO. En dépit des mises en gardes répétées de l’association France Nature Environnement (FNE 13) qui constate « l'insuffisance des possibilités de confinement, [pour] à peine la moitié des personnes concernées, et ouvertes seulement lors des heures ouvrables », rien n’a été fait pour faire face à un accident ; et les conséquences de cette pollution pour la santé des habitants sont celles que l’on imagine.


L’architecture des lieux n’a rien à envier à son environnement : le terrain rectangulaire de l’aire d’accueil est entouré d’un grillage et, par endroit, de barbelés ; un unique accès au terrain ne permet pas d’évacuation d’urgence. Au centre, un bâtiment administratif muni de grilles de sécurité permet une surveillance des vingt-huit emplacements à 360°. De part et d’autre d’une voie goudronnée, chaque emplacement dispose de blocs sanitaires individuels : des toilettes à la turque et, en guise de douche, un pommeau qui pend au milieu d’un mètre carré de béton. Pour séjourner dans ce lieu, il faut déposer une caution de 60 euros et payer 2 euros par jour sans compter l’eau et l’électricité.


Triste portrait de ce que les gens du voyage nomment sans hypocrisie un « terrain désigné ». Pour autant, l’aire d’accueil de Marseille est assez prisée. Pourquoi ? Son unique arbre permet de jouir d’un peu d’ombre et ses deux caniveaux permettent l’écoulement partiel des eaux. Autre raison de l’attractivité de l’aire de Marseille, son faible coût : on n’exige parfois jusqu’à 12 euros pour séjourner dans un lieu sans sanitaires et douches privatifs.


Ainsi, Dominique Raimbourg, le député rapporteur de la commission des lois, peut-il faire « le pari, […] que spontanément les aires d’accueil des gens du voyage ne seront occupées que par des gens du voyage ». Aucun risque que des touristes confondent une aire d’accueil avec un camping !


Une politique de sédentarisation


Ce qu’on ne dit pas, c’est que la loi Besson de juillet 2000 poursuit une politique ancienne de sédentarisation qui vise à obliger les gens du voyage à séjourner dans des lieux inhospitaliers. Pas de meilleure pédagogie pour faire comprendre que les voyageurs n’ont pas leur place en France. Et le message est parfaitement passé. Aussi, M. Raimbourg a-t-il raison d’affirmer que sur les 350 000 à 400 000 personnes de ce groupe, seul 100 000 voyagent et « les autres voyagent beaucoup moins, de moins en moins pour certains, et se sédentarisent ». Si la gauche peut se féliciter de la suppression du livret de circulation et de la réaffirmation de la loi Besson, on peut s’interroger sur l’effet réel de ces dispositions sur le mode de vie des gens du voyage.


L’article 13 de la Déclaration des droits de l’Homme stipule que « toute personne a le droit de circuler librement » à l’intérieur d’un État. Mais la politique de dissuasion du nomadisme remonte au moins au carnet anthropométrique de 1912. A l’époque, ces dispositions, moins subtiles, passaient par un harcèlement policier : le carnet anthropométrique devait être signé par les autorités à chaque fois qu’une roulotte arrivait sur un lieu et à chaque fois qu’elle en repartait. La loi de 1969 était, comme le fait remarquer M. Dominique Raimbourg, « plus humaine et plus douce » : les rapports quotidiens entre les gens du voyage et les forces de l’ordre étaient plus espacés puisqu’il fallait faire viser le carnet tous les trois mois.


Après une première offensive frontale du gouvernement français, il a été décidé de s’en prendre insidieusement, non plus aux personnes, mais aux lieux de vie. En 2000, la loi Besson impose aux communes de plus de 5 000 habitants de disposer d’une aire d’accueil : cette loi fut saluée par la gauche comme un progrès car elle était censée respecter les différents modes de vie des citoyens français, alors qu’elle entérine en fait l’interdiction faite aux voyageurs de stationner sur les parcelles communales.


Les gouvernements français successifs procèdent à l’extinction d’un mode de vie qui est en trop profond désaccord avec le règne de la propriété privée et de la privatisation des espaces publics. Si les gens du voyage forment un « groupe social », comme le prétend Dominique Raimbourg, chacun sait que ce collectif a sa culture propre. Il s’agirait donc d’inventer un mot synonyme d’ « ethnocide » pour parler de la disparition d’un tel groupe.


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